Jean-Luc Romero-Michel : la lutte contre l'homophobie, le VIH et pour le droit de mourir dans la dignité
Il est
13h00 ce lundi 16 octobre quand Jean-Luc Romero-Michel nous reçoit dans son
bureau de la mairie de Paris, qu’il a aménagé à son image. Sympathique,
chaleureux, souriant, il répond d’emblée et sans retenue à nos questions.
Durant une heure et demie, il se livre à notre micro, en revenant aussi bien
sur son histoire que sur les multiples combats qui ont rythmé sa vie : la
lutte contre l’homophobie, contre le VIH, pour la reconnaissance des malades
et, plus récemment, la lutte pour le droit de mourir dans la dignité.
Propos recueillis par Emile BOUDON et Fantin MELLAN.
Interview publiée le 19/12/2023.
"Vous êtes né dans le Nord, à Béthune, dans le Pas-de-Calais, bastion historique de gauche. Vous êtes aujourd’hui adjoint à la maire de Paris. Pouvez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous amène de votre ville d’origine aux responsabilités que vous occupez actuellement ?
(Soupir, il réfléchit)
C’est
un long parcours. Mes deux parents étaient des immigrés espagnols : mon
père n’a jamais été français, il était espagnol.
Leurs
parents avaient fui l’Espagne franquiste et puis s’étaient retrouvés comme beaucoup
d’espagnols, à ce moment-là, soit dans la région lyonnaise, où il y avait du
boulot : les Hidalgo c’était un peu ça, soit dans le nord où il y avait
les mines, la sidérurgie à l’époque. Donc toute ma famille s’est retrouvée là-bas,
car il fallait tout abandonner et trouver du boulot.
Ils
se sont tous retrouvés dans les mines. J’étais issu d’une famille communiste
ouvrière et je suis né a Béthune, mon père était ouvrier, ma mère travaillait
dans un bistrot et j’étais déjà baigné dans beaucoup de militantisme.
(Sur un autre ton, a part) Vous savez quand vous étiez étranger et que vous faisiez de la politique, vous étiez expulsé. C’était interdit à l’époque et j’ai eu un oncle qui était un militant communiste que les différents frères et sœurs de mon père cachaient.
Donc cet oncle il m’a beaucoup inspiré, il m’a donné envie de me mobiliser, sauf qu’il m’a donné envie de tout sauf d’être communiste (il rit) parce que, c’était un mec très bien, mais quand il a quitté la France, il est allé habiter au Luxembourg et il recevait souvent des gens des pays de l’est. A l’époque, les pays de l’est communistes, pour eux, l’homosexualité c’était quelque chose qu’ils appelaient un « vice bourgeois », et je me suis vite confronté à ça, c’est-à-dire que j’entendais les communistes qui parlaient des gays d’une manière un peu terrible. J’étais jeune mais je savais, au fond de moi, qui j’étais. C’était quelque chose de violent. J’étais à la fois attiré par l’envie de faire de la politique mais en même temps je savais que je ne pouvais pas être communiste.
Quand les gens n’ont pas les connaissances, ils ont aussi le rejet
C’est pour ça que dans un premier temps je me suis retrouvé dans le mouvement gaulliste et les mouvements que dirigeait Chirac, parce que pour moi c’était une forme de troisième voie entre le communisme et le capitalisme, donc elle ne pouvait pas non plus vraiment me retrouver avec mes origines sociales et (il hésite) ma vie.
Dans un premier temps, oui, je me suis retrouvé dans ce qu’on a considéré après comme des partis de droite, un peu par opposition à ce que j’avais vécu dans ma jeunesse, ce qui a évidemment complètement changé aujourd'hui : le parti communiste français par exemple n’a plus de problèmes avec l’orientation sexuelle.
J’ai d’abord été assistant parlementaire, j’ai été élu la première fois à Bobigny a 28 ans, et je me suis toujours intéressé a la chose publique.
Comment je suis arrivé à la mairie ? Au départ je n’étais pas du même bord que la maire, mais je l’ai connue quand elle était avec Bertrand Delanoë (ancien maire de Paris) que je connaissais depuis les années 2000. La première fois que j’ai rencontré la maire c’était à la Gay Pride et on a assez vite sympathisé.
La coïncidence a fait que j’étais conseiller régional ; elle aussi, même si on n’était pas élus sur la même liste. Vu mes combats sur le VIH, Jean-Paul Huchon, qui était le président de la Région, avait voulu que je sois vice-président, même si je n’étais pas de son bord.
Et tout de suite j’ai travaillé avec Anne (Hidalgo) et puis les choses se sont faites peu à peu. J’ai quitté la droite au moment du PACS (forme d’union civile), ça s’est très mal passé car j’étais en désaccord avec eux sur les questions sociétales, sur lesquelles j’ai toujours travaillé.
Et puis peu à peu je me suis rapproché d’Anne Hidalgo et après j’ai été élu à la fois sur ses listes régionales et sur les listes municipales, et c'est comme ça que je suis arrivé à Paris.
Où en est-on, 40 ans après, sur la notion du VIH et comment évaluez-vous l’éducation sexuelle au lycée autour de cette question ?
Le VIH, on est dans une situation un peu paradoxale : il n’y a jamais eu autant de gens qui ont vécu avec le VIH dans le monde et en France : un peu plus de 170.000 personnes, mais on en parle quasiment plus. Parce que dans nos pays on a la chance d’avoir des traitements qui font que les personnes séropositives ont presque la même espérance de vie qu’une personne séronégative, même si ce n’est malheureusement pas la même vie parce que les progrès médicaux ont été considérables. Vous savez moi j’ai appris que j’étais séropo’ quand j’avais 27 ans et je n’aurais jamais cru que je vivrais au-delà des 30 ans : tous mes amis sont morts entre 20 ans et 30 ans, c’était quelque chose d’absolument atroce.
Et donc, les progrès médicaux ont fait qu’aujourd'hui les traitements, même si ce n’est pas toujours évident à supporter, permettent de vivre. Mais en même temps, la société n’a pas évolué. Dans nos pays, on a baissé la garde et on le voit parce que, dans les lycées, et aussi les collèges, c’était des questions qui étaient évoquées dans le cadre de l’éducation sexuelle, qu’on doit avoir. Sauf qu’elles sont appliquées différemment selon, les collèges et les lycées, et il y a des collégiens et des lycéens qui n’ont jamais eu aucune formation sur ces questions-là.
"J’ai appris que j’étais séropo’ quand j’avais 27 ans et je n’aurais jamais cru que je vivrais au-delà des 30 ans : tous mes amis sont morts entre 20 ans et 30 ans, c’était quelque chose d’absolument atroce."
Vous savez, je suis devenu président du Centre de formation et de prévention du Sida qui faisait qu’à notre époque, on avait 90% des élèves de seconde qui avaient tous, au moins, une formation sur le VIH.
Actuellement c’est un sujet qui n’est quasiment plus abordé et on le voit car tous les ans le Sidaction fait un sondage, notamment auprès des jeunes : le dernier qui a été fait en décembre 2022 est affolant car plus de 20% des jeunes de moins de 25 ans croient qu’on attrape le sida en étant piqué par un moustique. On est aux alentours de 20% de ceux qui croient qu’on l’attrape aux toilettes. La plupart ne savent pas qu’une personne séropositive, qui est aujourd’hui sous traitement et sans charge virale, ne peut pas infecter, même sans « capote ». On voit qu’il y a une méconnaissance et donc quand les gens n’ont pas les connaissances, ils ont aussi le rejet.
Par ailleurs, quand le sida a frappé, les populations vulnérables étaient évidemment les homosexuels, il y a eu une véritable solidarité. Alors qu'aujourd’hui, chez les jeunes, c’est moins souvent le cas. Quand un pote gay dit à son pote qu’il est séropo’, parfois il est rejeté. Et à l’heure actuelle on voit bien qu’il y a un déficit d’information, pour les jeunes autour du VIH, ils n’ont plus les connaissances de base. Alors que paradoxalement on a vu l’espoir d’un monde sans sida, fixé par l’ONU sida a 2030. Sauf que chez nous il y a 25 000 personnes qui ne savent pas qu’elles sont séropositives et c’est elles qui continuent d’en infecter d’autres, sans le savoir.
Si on ne forme pas bien les gens, si on ne leur explique pas les choses, ils continueront à transmettre la maladie, et ils vont en même temps rejeter des personnes qui portent le VIH.
Donc on voit bien aujourd’hui un déficit d’informations sur la question du VIH/sida, il faut retravailler globalement sur la sexualité, sur l’approche de la santé sexuelle. Il ne faut pas vous expliquer à vous, les plus jeunes, que la sexualité ce n’est que des risques parce que ce n’est pas vrai, la sexualité c’est d’abord de l’amour, c’est du plaisir. Sauf, qu’aujourd’hui on n’explique plus rien et c’est un vrai problème.
Enfin, comprenez aussi que la sexualité c’est quelque chose de complexe, quelle qu’elle soit. C’est d’autant plus difficile quand vous êtes dans des groupes qui sont minoritaires car on ne vous parle pas beaucoup de vous. C’est compliqué quand on est lesbienne, quand on est trans’, quand on est gay, de s’identifier dans tout ça alors que l’école devrait aussi nous aider à comprendre la diversité de la sexualité, à comprendre l’autre et à éviter aussi ce qui se passe dans les écoles, c’est-à-dire le harcèlement de personnes qui sont différentes.
Une enquête de EnCLASS, en 2018, indique que 13,2 % de collégiens en fin de troisième ont déjà eu un rapport sexuel, et 55 % de lycéens en fin de terminale. Or, nous n’avons jamais parlé d’éducation sexuelle au lycée, alors que la notion est pourtant dans le programme de seconde.
(Il s’étonne) Jamais ?! Oui, parce qu’en fait, on sait que la moyenne est de 17 ans, un peu plus pour les filles, 17 ans et quelques. Vous, vous êtes d’une génération ou vos parents vous ont parlé, vous ont dit des choses, mais en même temps c’est pas toujours facile de poser des questions à sa mère, à son père.
C’est pour ça que nous, au CRIPS
(Centre régional d'information et de prévention du sida et pour la santé
des jeunes), on avait aussi compris que pour les profs c’était également
compliqué, ce sont des gens qui vous voient tout le temps. C’est pour ça que
nous faisions venir des intervenants extérieurs, qui en plus, souvent, intervenaient
sans que les profs soient là, et ça permettait de parler quand même beaucoup
plus librement, surtout qu’en général ils laissaient leur mail, donc les gens
les plus timides et qui avaient des questions plus compliquées, pouvaient après
écrire, envoyer des mails, poser des questions. Par exemple, on avait beaucoup
de troupes de théâtre qui jouaient des petites pièces dans lesquelles il y
avait des situations à risque, et les gens pouvaient intervenir.
(Il sourit) Alors c’était pas souvent les mecs qui intervenaient mais beaucoup les filles, qui étaient beaucoup plus ouvertes, qui avaient moins peur de poser des questions, et les mecs ils envoyaient plutôt des mails après.
"Tout le monde a de la sexualité, tout le monde, j’espère, peut avoir du plaisir."
(Il change de ton) Je pense notamment à ceux qui venaient de minorités, qui parfois n’osaient pas dire, ne voulaient pas que les gens de leur classe, leurs copines, leurs copains sachent qu’ils étaient lesbiennes ou gays. Ça c’est un vrai problème aujourd’hui et on s’était vraiment battu ; ce qui n’existe plus maintenant, car on avait vraiment 90% d’une classe d’âge, les secondes, qui avaient obligatoirement, un après-midi dans l’année dédié à cela, ce qui n’était pas beaucoup en soi, mais ça c’était payé par la région et non pas par l’État, alors que l’État ne joue pas son rôle et qu’il y a eu des dizaines de circulaires qui ont été faites. Le dernier (ministre de l’éducation), pas l’actuel mais le précédent, Pape Ndiaye, avait encore ré insisté, en disant : « il faut que sécession ait lieu ». Alors que, dans la réalité des choses, c’est vraiment lié aux enseignants.
Qu’est-ce que vous en concluez ?
(Vivement) Je pense que c’est grave ! Au-delà des maladies sexuelles, la sexualité ce n’est pas que ça. Il faut que les gens puissent comprendre ce que c’est : la santé sexuelle est un concept aujourd’hui et dans lequel, évidemment, il faut parler des risques, évidemment qu’il faut parler du sida, qu’il faut parler des IST (Infections Sexuellement Transmissibles),mais en même temps il faut expliquer ce que c’est la sexualité, la dédramatiser pour ceux qui pourraient avoir des craintes, et puis montrer cette diversité qui va évidemment aider chacun des jeunes à s’épanouir, et à comprendre que c’est pas un sujet tabou. C’est un sujet de la vie quotidienne, tout le monde à de la sexualité, tout le monde, j’espère, peut avoir du plaisir. Puis il y a aussi le concept d’amour, dont on ne parle jamais !
Dans une vie, le concept de santé sexuelle c’est quelque chose d’important. Quand vous n’êtes pas bien dans votre vie sexuelle, vous n’êtes pas bien dans votre vie en général.
On a l’impression que l’école et plus largement la société enferment les gens dans un cadre restrictif, en donnant la sensation de ne pas avoir évolué sur ce genre de sujets déjà tabous il y a 40 ans, et ce contrairement à la médecine et aux technologies qui, elles, ont progressé.
(Il nous coupe) On le voit pour plein de choses et ça c’est quand même un peu terrible car nous sommes dans une société qui est plus ouverte, où vivre, notamment sa différence, est extrêmement difficile. Moi, quand je suis arrivé à Paris, dire son homosexualité c’était quelque chose d’extrêmement compliqué. Si vous subissiez de l’homophobie, vous ne risquiez pas d’aller au commissariat parce que vous vous faisiez encore plus insulter. Alors qu’aujourd’hui ça s’est inversé, on entend souvent des gens dire « Oh là là ! C’est terrible ce qu’on vit ». C’est terrible car aujourd’hui il y a quelque chose qui pour nous n’existait pas, c’est les réseaux sociaux, qui ont amplifié les discriminations, le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie, car des gens peuvent écrire des choses horribles, croyant qu’ils sont dans l’impunité, ce qui est fou en réel, mais ils le croient. Puis ils sont likés, retweetés par plein d’autres, et ils se disent qu’il y a plein de gens qui pensent comme eux.
Sauf que dans la réalité c’est une minorité. Alors que dans les années 80, notamment sur les questions liées à l’homosexualité, c’est vrai que 80 % des parents disaient, quand Le Monde faisait son sondage annuel, qu’ils n’accepteraient pas d’avoir un enfant homosexuel. Aujourd’hui, on a l’inverse, donc on est quand même dans une société plus ouverte, mais en même temps où la parole, et notamment à l’école où les formations que vous devriez avoir, n’existent pas. Comment se faire une idée de la sexualité ?
Moi je vois qu’on travaille beaucoup sur la question du « chemsex », qui concerne évidemment plutôt les homosexuels mais qui est quand même très dangereuse, c’est-à-dire d’avoir du sexe sous drogues. On voit plein de jeunes gays, (en réfléchissant) je pense que c’est en train de s’étendre chez les hétéro’ puisqu’il y a des études qui commencent à le prouver, qui commencent leur sexualité à 17 ans, 18 ans, en prenant des produits, souvent en regardant un film porno et avec des personnes plus âgées qu’elles, et pour eux, c’est leur première relation et ils se disent : c’est ça la sexualité. C’est terrible car comme ils n’ont pas été vraiment formés, le premier contact qu’ils ont, en plus dans des familles parfois très religieuses où on ne peut pas parler de sexualité, ils croient que la sexualité c’est forcément avec un film porno. (A part) Pourquoi pas, je suis pas contre les films pornos, c’est un truc qui s’ajoute en plus. (Il reprend) La sexualité peut aussi se passer sans porno.
Mais commencer en ayant eu de la drogue, des produits pour amplifier les choses, ça vous fait croire que la sexualité c’est ça, alors que la sexualité c’est d’abord la rencontre de deux personnes qui ont un sentiment à un moment, pas forcément de l’amour, mais qui ont envie d’être ensemble et qui peuvent avoir des choses très belles, sans avoir besoin de prendre des drogues, qui en plus peuvent avoir de graves conséquences. Et vous avez des jeunes, qui se retrouvent comme ça à 17, 18 ans, qui sont homosexuels, où personne ne leur a jamais parlé de sexualité et puis quelqu’un leur dit « tiens c’est ton premier rapport, regarde, prend ça, tu vas voir, ça va être génial avec ça ». Puis ils se rendent compte plus tard que ça pourrait être autre chose. Sauf que, quand vous avez vécu avec des produits très forts, comment retrouvez-vous après une sexualité classique et comment arrivez-vous vraiment à aimer ? C’est plus compliqué car personne ne vous a formé et que le premier contact sexuel que vous avez eu c’est dans ces conditions-là. C’est ça le problème d’avoir fait de la sexualité un tabou dans l’école, puisqu’au final c’est ça, les profs sont gênés de le faire.
Et moi je le dis, utilisez des organismes extérieurs, faites venir des gens de l’extérieur, qui vont venir en parler. Ça résoudra bien des choses ; plus le rôle des infirmières scolaires, où il y en a de moins en moins, qui peuvent jouer un rôle, sauf qu’à certains endroits, il n’y en a même plus. Donc on voit bien les problèmes qu’il y a. Dans une vie, le concept de santé sexuelle c’est quelque chose d’important. Quand vous n’êtes pas bien dans votre vie sexuelle, vous n’êtes pas bien dans votre vie en général.
Si un jeune n’arrive pas à s’affirmer et, du fait d’une désinformation, est amené à avoir des conduites à risques, quels conseils pourriez-vous donner pour qu’il puisse d’une part mener une vie saine et d’une autre, s’assumer pleinement ?
Il faudrait qu’on ait pu lui donner des formations pour savoir ce qu’est la santé sexuelle, ce qu’est la différence quand on est différent. Quand on n’a pas ça, c’est extrêmement compliqué. En plus ce sont souvent des jeunes qui sont isolés qui doivent donc faire l’effort de se rapprocher d’associations qui vont pouvoir vous aider à vous accepter tel que vous êtes.
Si vous tombez dans des conduites addictives, je vous conseillerais d’aller vers les lieux où l’on va soit vous soigner si vous soigner est votre volonté, soit vous proposer des groupes de parole. Mais il ne faut surtout pas rester seul, ce qui est compliqué parce que lorsqu'on ne vous parle pas, quand on ne vous dit pas qu’être gay c’est une sexualité comme une autre, quand on ne vous dit pas ça, vous vous sentez différents parce que l’immense majorité de vos copains et de vos copines sont hétérosexuels.
"Comment fait-on pour s’identifier quand on ne vous parle de rien ?"
Comment s’identifier ? D’autant plus lorsque l’homosexualité n'apparait jamais dans vos cours. Regardez vos cours d’Histoire ! Est-ce qu’on parle de l’homosexualité des rois ou de personnes célèbres, des gens qui ont inventé des choses ? Elle est complètement occultée ! Alors que c’est un moyen d’identification. Les gens ont besoin de pouvoir se dire « oui moi plus tard je vais pouvoir réussir ma vie parce qu’un tel a réussi ». Regardez Bertrand Delanoë a été maire de Paris en étant homosexuel, il a fait une énorme carrière et a énormément compté dans la vie politique française.
La seule chose : comment fait-on pour s’identifier quand on ne vous parle de rien ? Il n’y a aucun enseignement qui vous montre que vous êtes normal et ça, c’est extrêmement compliqué et ça paraît étrange parce qu’on est en 2023. En plus si vous cherchez des informations sur internet ça peut parfois être difficile car quand vous êtes sur les réseaux sociaux, qui sont notre quotidien, vous voyez des choses violentes et ça vaut pour toutes les discriminations. Comment s’accepter tel qu’on est quand on voit cette violence et ce rejet ?
Vous, par exemple, comment faites-vous pour vous prémunir des attaques sur les réseaux sociaux ?
Par exemple X est un réseau plein de haine : j’ai été obligé d’installer « bodyguard » qui censure les pires trucs. Quand on a 17 ou 18 ans c’est encore plus compliqué de gérer ce harcèlement. D'où la nécessité d’être formé à l’utilisation des réseaux.
Par exemple, si vous avez une page Facebook qui est ouverte à tout le monde et que vous y mettez une fête, voire une beuverie : avant les photos seraient restées en interne, aujourd'hui tout le monde y a accès. Donc dans cinq ou six ans, simplement vous aurez été bourré un jour, vous aurez mis une connerie sur internet, ça va peut-être vous poursuivre et vous faire perdre un boulot. Les gens font tout et n’importe quoi parce que personne ne vous forme à ça ! Pour ma part, lorsque je vois des collaborateurs qui ont fait des conneries de jeunesse, ça me fait rire parce que j’ai fait les mêmes, sauf que d’autres ne vont pas être dans le même délire, dans la même ouverture d’esprit. Quand j’enseignais en école de commerce, je faisais un truc spécial : une session de deux heures où je discutais avec eux autour de l’utilisation de leurs réseaux sociaux. Il faut trouver le juste milieu.
C’est compliqué de parler de sexualité avec ses parents, même si on a des parents très ouverts, on a besoin d’avoir des espaces pour en parler.
Donc si on résume : si vous êtes nommé un jour ministre de l’Éducation, vous ajoutez deux heures de prévention, une pour les réseaux sociaux et une pour la sexualité ?
(Il rit) Non, mais je ferais déjà en sorte que les circulaires soient appliquées pour que les heures de santé sexuelle qui sont prévues soit vraiment assurées.
C’est compliqué de parler de sexualité avec ses parents, même si on a des parents très ouverts, on a besoin d’avoir des espaces pour en parler. Quand on est hétéro ce n’est déjà pas simple, alors imaginez lorsque vous êtes gay, lesbienne et trans, n’en parlons même pas. Vous avez besoin d’espace où l’on vous explique les choses et ça, ça n'existe que très marginalement à l’école. C’est un vrai problème. Et cet espace ne peut pas être les réseaux sociaux.
Enfin, nous voulions aussi vous interroger sur votre combat le plus actuel : la fin de vie.
Moi, c’est le sida qui m’a amené à ce combat là parce que j’ai vu tous mes potes mourir, à 20 ou 25 ans, dans des conditions atroces. On continuait à les opérer, à les faire vivre le plus longtemps possible dans la souffrance, on refusait de soulager leurs douleurs. Donc, j’ai été pendant 14 ans président de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). Forcément ça vous révolte et vous avez envie de dire « on ne choisit pas de naître, qu’on ait au moins le droit d’éteindre la lumière dans de bonnes conditions ».
On ne choisit pas de naître, qu’on ait au moins le droit d’éteindre la lumière dans de bonnes conditions.
Pourquoi, alors que l’opinion public semble y adhérer et malgré un avis favorable du conseil de la participation citoyenne en 2022, la dépénalisation de l’euthanasie n’est-elle pas mise en place par le gouvernement ? Pourquoi cette question reste-t-elle aussi taboue ?
C’est un sujet tabou, c’est sûr. Mais ça devrait avancer puisque je faisais un débat la semaine dernière sur France 2 et il y avait la ministre qui a annoncé qu’il y aurait un texte présenté en décembre, ce n’est exactement le texte que je veux mais il y aura un texte... Dans notre société on a des grands tabous : la sexualité, dont on a parlé tout à l’heure ; les drogues, un sujet extrêmement important pour les jeunes notamment.
Ça ne devrait pas être tabou parce que la fin de vie est une question qui concerne tout le monde, même les plus jeunes générations. Ça peut paraître terrible mais on peut avoir un terrible accident, se retrouver handicapé... On voit bien que c’est une question intergénérationnelle puisque les premières histoires qu’il y a eu sur la fin de vie, c’était l’histoire de Vincent Humbert. Il y a une vingtaine d’années, ce pompier a eu un accident de voiture et son corps était devenu une prison, il ne pouvait plus communiquer qu’avec un doigt. Il a estimé que cette vie-là n’en n’était plus, c’était son choix.
Le problème c’est que dans notre pays on refuse à ceux qui ont des souffrances qu’on ne peut pas soulager, de pouvoir dire stop. On laisse des gens dans la souffrance. J’ai sorti il y a quelques jours un nouveau livre, qui s’appelle Le serment de Berne, dans lequel je raconte l’histoire d’un homme, Alain Cocq, un militant de la dignité des personnes en situation de handicap qui a attrapé une maladie orpheline : il ne pouvait donc plus rien faire de lui-même alors qu’il avait toute sa tête. Il avait même des douleurs physiques que la morphine ne pouvait pas apaiser, il hurlait de douleur. J’ai dû l’accompagner en Suisse pour qu’il puisse partir.
"Ça veut dire que tout ceux qui ne peuvent pas aller en Belgique ou en Suisse doivent se suicider violemment ici, se tirer une balle dans la tête, se pendre."
Est-ce normal qu’en France, on ne propose rien à quelqu'un qui a des douleurs qu’on ne peut pas soulager ? Qu’est-ce qu’on dit à ces gens-là : mourrez dans la souffrance ? On est dans une République laïque et il n’y a pas un principe supérieur qui vous oblige à mourir le plus tard possible et notamment dans la souffrance. C’est d’autant plus injuste car si vous avez de l’argent, vous pouvez partir à l’étranger, ça coûte entre 10 et 15 000 euros de partir en Suisse, et je suis désolé, tout le monde n’a pas une telle somme. Si vous n’avez pas d’argent, on arrive à des situations terribles. Par exemple, j’ai aidé un jeune qui avait le VIH et qui, mal informé par son médecin, s’est jeté par la fenêtre et qui s’est ensuite retrouvé dans la même situation qu’Alain Cocq. Ça veut dire que tout ceux qui ne peuvent pas aller en Belgique ou en Suisse doivent se suicider violemment ici, se tirer une balle dans la tête, se pendre.
Moi je veux une loi qui n’oblige à rien puisqu'elle donne un droit. Qui respecte toutes les consciences : si un médecin ne veut pas accompagner les patients dans les soins ultimes, il a une clause de conscience, comme dans tous les pays qui ont légalisé le suicide assisté ou l’euthanasie. Personne n’est obligé à faire quelque chose contre sa volonté. J’ai du mal à comprendre pourquoi une société comme la nôtre, entourée de pays qui les ont légalisés ne nous permet pas de décider de notre fin. L’argument qu’on rétorque c’est que la vie est sacrée. Ils peuvent le penser, sauf que là ce n’est pas un choix entre la vie et la mort : c’est un choix entre la mort et la mort.